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“En toute discrétion”…

D’Ongnies, de Drongelen, d’Esne, de Gavre, de Ghistelles, de Hamal, de Mérode, de Noyelles, d’Ulm et d’Ydeghem. Quel est le point commun entre ces différents noms ?

Outre la noblesse et le fait qu’ils sont gravés ou sculptés sur la pierre, ce qui les rapproche, c’est qu’ils évoquent des chanoinesses de Sainte-Waudru.

En effet, il s’agit des noms des chanoinesses dont les pierres tombales ou monuments funéraires se trouvent toujours (même si parfois presque effacés) dans la collégiale Sainte-Waudru.

Ces noms correspondent à treize anciennes chanoinesses décédées entre 1427 et 1780. L’inscription de 1427 est toujours parfaitement lisible tandis que celle de 1780 se devine à peine.

Nous avons la chance qu’au milieu du XIXe siècle, Léopold Devillers a pris soin de retranscrire le plus exactement possible les inscriptions sépulcrales qui se trouvaient encore dans la collégiale. Son travail nous permet de compléter les lacunes dues aux passages répétés de nombreuses personnes sur des pierres dont les inscriptions s’effacent inévitablement. En un siècle et demi, que d’inscriptions « perdues » !

Mais revenons à nos chanoinesses.

Le souvenir le plus ancien d’une chanoinesse en la collégiale remonte à 1427. Il s’agit de la pierre commémorative, en forme de cul-de-lampe, de Marguerite d’Esne[i]. Nombreuses sont les personnes qui voient cette pierre sans savoir qu’il s’agit d’une pierre commémorative.  En effet, c’est sur elle que, toute l’année, repose le reliquaire du chef de sainte Waudru. Une inscription sculptée, repeinte au fil des siècles et probablement la dernière fois au milieu du XXe siècle quand le chef de la patronne montoise a été installé à son actuel emplacement, évoque, avec l’orthographe de l’époque, la chanoinesse : Chi desous gist demiselle Margheritte dEsne canoinesse de cheens qui trespassa lan M CCCC XX et VII le IXe jo doctembre.

La mention la plus « récente » est celle consacrée à la chanoinesse Marie Thérèse d’Ulm dont l’inscription (gravée sur marbre blanc) est désormais presque illisible. Elle avait heureusement été publiée par Léopold Devillers dans son Mémoire consacré à la collégiale Sainte-Waudru en 1857 : « D. O. M. Marie Thérèse Dulm chanoinesse de cette église âgée de 23 ans morte le 17 décembre 1780. R. I. P. ».

En consultant le registre des décès de la Collégiale Sainte-Waudru pour 1780, on peut lire au 17 décembre, et ainsi confirmer le texte publié par Devillers : « Le 17 vers le onze heures et demie du matin est morte la Dame Marie Thérèse D’Ulm âgée d’environ 23 ans née à Fribourg en Briscau[ii] chanoinesse de cet illustre chapitre Enterrée le 19 vers le onze heures et demie du matin dans l’Eglise. (sé) FJ Gailliez, prêtre chanoine de St Germain ».

Du XVe siècle, nous conservons également un monument funéraire, un taulet, consacré à deux chanoinesses de la famille de Dronghelen, Alix et Henriette, décédées respectivement en 1433 et en 1483 (1484 n. st.). Une inscription sculptée les évoque : « CHI GIST DEMIS. AELIS DE DRÕGHELEN CANOINESSE DE CHAES QUI TESPASSA LÃ M CCCC XXXIII LE IX JOUR DE NOVEMBRE[iii] ET CE Y GIST DEMIS.HEMRICH DE DRÕGHELEN SE NIECHE OSSI CANOINESSE DE CHAES QUI TRESPASSA LAN M CCCC IIIIXX Z III LE IXE JOUR DE MARCH[iv]. PRIIES POUR LEURS AMES ».

Afin de bien laisser leur souvenir visible, le monument présente deux « images » sculptées des chanoinesses Alix et Henriette de Dronghelen conduites vers la vierge à l’Enfant, l’une par sainte Waudru, l’autre par saint Barthélemy.

D’autres noms de chanoinesses sont également gravés sur des pierres dans la collégiale (entre guillemets la « hiérarchie » de la chanoinesse au sein du chapitre telle qu’elle est mentionnée sur la pierre) :

  • de Hamal Isabelle Claire, décédée le 10 novembre 1641 « chanoinesse de ce noble et illustre chapitre Madame Ste Waudru»[v].
  • d’Ydeghem Marie Louise Claudine, décédée le 23 février 1769 « chanoinesse aInEe de ce trEs noble et illustre chapitre de Ste Waudru».
  • d’Ongnies Marie Philippes, décédée le 27 janvier 1669 « chanoinnesse premiEre aisnEe du trEs illustre chapitre de Ste Waudru».
  • de Gavre Anne Françoise, décédée le 25 mars 1686 « chanonesse de cet illustre chapitre … au servisce de Dieu et de sa patronne Ste Waudru».
  • de Mérode Eléonore Jeanne, décédée le 1er mai 1685 « autre-fois chanoinesse de cette Eglise depuis vicomtesse d’Alpen».
  • de Noyelles Iolante (sic) Isabelle, décédée le 5 novembre 1690 « chanoinesse pre [miEre] aysnEe de ce trEs Illtre chapitre».
  • de Noyelles Anne Marguerite, décédée le 15 juin 1661 « chanoinesse du mesme chapitre».
  • de Ghistelles Jeanne Baptiste Louise, décédée le 9 mars 1780 « chanoinesse du chapitre royal de Sainte Waudru à Mons».
  • de Noyelles Marie Françoise, décédée le 19 mai 1633 « chanonesse d’illustre et vEnErable chapre de ceste egle TREPASSE PREMIERE AISNEE».

La dernière citée, Marie Françoise de Noyelles, n’est pas évoquée sur une « pierre tombale » proprement dite mais sur un monument funéraire qui était, du temps du chapitre, une des portes d’accès au déambulatoire (transformée au XIXe siècle en retable pour la chapelle 29). Sa pierre tombale figurait encore dans le relevé établi par Devillers dans son Mémoire consacré à la collégiale en 1857 (peut-être a-t-elle été retirée lors de l’installation du chauffage dans le collatéral nord ou a-t-elle été entièrement effacée depuis la publication de Devillers ?)[vi].

Les registres des décès de la collégiale Sainte-Waudru conservent, et c’est heureux, également la mémoire de quelques-unes de ces chanoinesses dont les noms restent inscrits sur la pierre dans la collégiale[vii] :

  • de Hamal Isabelle Claire : « gomignie chanoinesse », c’est ainsi qu’elle figure, sans plus de précisions, dans l’index chronologique de défunts de la collégiale Sainte-Waudru pour les années 1615-1794. Sur sa pierre tombale, elle était présentée comme « noble et vertueuse Damoiselle Mademoiselle Isabelle Claire de Hamal comtesse de Gomigny »[viii].
  • d’Ydeghem Marie Louise Claudine : « Février 1769 Le 23 vers le 4 heures du matin est décédée la noble dame madame Marie Louise Claudine d’Ydeghem comtesse de Wattoux chanoinesse seconde ainée, au chapitre royal de Ste-Waudru, inhumée le 25 dans la chapelle de St-Joseph vers le 12 heures à midi ».
  • d’Ongnies Marie Philippes : « Le 27 [janvier 1669] Mademoiselle Marie Philippes d’Ongnies première aînée de ce noble et illustre chapitre ».
  • de Gavre Anne Françoise : « Le 25 [mars 1686] est morte Madame Anne Françoise de Gavre dite d’Ayseaux chanoinesse du noble et illustre chapitre de Ste-Waudru enterrée le lendemain à la chapelle de la Ste-Croix[ix]».
  • de Mérode Eléonore Jeanne : « le même jour [1er mai 1685] est morte à quatre heures du matin ou environ noble et illustre Dame Eléonore Jeanne de Mérode vicomtesse d’Alpen enterrée dans la chapelle de Ste-Aldegonde dans un cercueil de plomb mis dans une cave ».
  • de Noyelles Yolande Isabelle : « Novembre 1690 Le 5 Madame Yolante Isabelle de Noyelles première ainée du noble et illustre chapitre de Ste-Waudru ».
  • de Noyelles Anne Marguerite : « Le 15 [juin 1661] Mademoiselle Anne Marie Marguerite de Noyelles dite de Torsy morte à Nivelles vers les six heures du soir rapportée à Mons puis enterrée dans l’église de Ste-Waudru après-midi ».
  • de Ghistelles Jeanne Baptiste Louise : « Le 9 [mars 1780] vers le 10 heures du soir est morte la noble Dame Jeanne-Baptiste Louise de Ghistelles chanoinesse du Chapitre Royal de Ste-Waudru, née à Vieille-Chapelle province d’Artois, âgée d’environ 45 ans, enterrée le 11 vers le 12 heures du matin dans l’église (sé) J. Everaerts Chane de St Germain ».

Le Trésor de la collégiale garde peu de traces écrites des chanoinesses. Seules deux inscriptions sur un calice et sur une peinture les concernent. Le calice, de 1627, évoque la donatrice « M[adame] Anne de Lannoi ditte de la Motterie chan ». La peinture, une adoration des bergers, fait mémoire de « Jeanne-Baptiste Louise de Ghistelle Chanoinesse à Mons, décédée le 9 de mars 1780 ».

Les mentions reprises dans ce texte sont relatives à des pierres, objet ou peinture installés ou exécutés du temps du chapitre (soit avant 1794). Quelques chanoinesses sont aussi évoquées dans les verrières néogothiques de la collégiale mais il s’agit ici d’interprétations « historiques » et non en lien direct avec la chanoinesse elle-même.

La collégiale était leur église et aujourd’hui les chanoinesses y sont devenues très discrètes, presque invisibles, des souvenirs qui s’effacent. Mais heureusement, elles nous ont légué la collégiale et, plus important encore, les reliques de leur patronne, sainte Waudru.

A l’exception de celle de la chanoinesse d’Ongnies bien « cachée », si vous passez prochainement par la collégiale, prenez un peu de temps pour tenter de découvrir les pierres tombales ou monuments funéraires des quelques chanoinesses évoquées dans cet article.

 

Benoît Van Caenegem

Conservateur de la collégiale Sainte-Waudru

et de son Trésor

[i] Dix-huit jours après son décès, sa prébende sera réattribuée, par Jacqueline de Bavière, à sa nièce Marguerite d’Esne.

[ii] Fribourg-en-Brisgau est une ville d’Allemagne située dans le land de Bade-Wurtemberg.

[iii] Devillers dans le tome 3 (1908) des Chartes du Chapitre de Sainte-Waudru de Mons, p.184, précise que les funérailles d’Alix de Dronghelen furent célébrées le 18 novembre 1433 en présence des abbés de de Saint-Ghislain, d’Haumont et de Saint-Denis, ainsi que du Doyen et du chapitre de Soignies.

[iv] Soit le 9 mars 1484 en nouveau style.

[v] Texte repris dans le Mémoire de Devillers consacré à la collégiale (n° 78 des inscriptions funéraires) car le texte gravé sur la pierre tombale est quasiment illisible. Dans le tome 4 des Chartes du Chapitre de Sainte-Waudru de Mons, p. 424, il est précisé : « Le 10 octobre 1628, Isabelle-Claire de Hamal dite de Gommegnies, née le 6 octobre 1617, a été reçue au chapitre de Sainte-Waudru ». Elle avait donc 11 ans lors de sa réception.

[vi] Une autre pierre tombale de chanoinesse était aussi reprise par Devillers en 1857 : celle de « Mademoiselle Marie Françoise Magdelaine de Rubempré en son vivant chanoinesse et première aînée de ce très noble et très illustre chapitre de Saincte Waudru décédée le 24 de janvier 1720 ». A propos de cette chanoinesse, dans le registre des actes de décès, à la date du 24 janvier 1720, on peut lire : « Le 24 janvier 1720 morte madame Marie Madeleine de Rubempré aînée chanoinesse de cette église ». La pierre tombale de la chanoinesse de Rubempré est probablement celle, pierre et marbre blanc, qui se trouve à l’entrée de la nef centrale (côté nord). Le texte est entièrement effacé mais l’emplacement, toujours bien marqué, des huit quartiers de noblesse que devait fournir à son entrée au Chapitre la nouvelle chanoinesse permet de penser qu’il s’agit bien de la pierre tombale de la chanoinesse. De plus, son emplacement peut correspondre avec la suite des pierres tombales données par Devillers en 1857 et avec un plan réalisé en 1921 à la demande des Ursulines.

[vii] L’orthographe des citations a été corrigée pour cet article. Pour les actes originaux relatifs aux chanoinesses citées dans cet article, voir : Archives de l’État en ligne, Registres paroissiaux. Province du Hainaut. Arrondissements de Charleroi et Mons, Mons, paroisse Sainte-Waudru, Registres Paroissiaux. Actes de décès / sépultures,

  • du 08/11/1626 au 06/07/1711, pour les chanoinesses de Gavre, de Mérode, de Noyelles Anne Marguerite, de Noyelles Yolente Isabelle, d’Ongnies.
  • Du 30/07/1711 au 27/12/1735, pour la chanoinesse de Rubempré.
  • du 02/01/1736 au 16/01/1770, pour la chanoinesse d’Ydeghem.
  • du 07/01/1770 au 31/12/1784, pour les chanoinesses de Ghistelles et d’Ulm.
  • Pour Isabelle Claire de Hamal (reprise sous l’appellation « gomignie chanoinesse», voir : Archives de l’État en ligne, Registres paroissiaux. Province du Hainaut. Arrondissements de Charleroi et Mons, Mons, paroisse Sainte Waudru, Registres Paroissiaux. Index chronologique des décès/sépultures 1615 – 1794).

Consulté les 29 et 30 mai ainsi que le 22 juin 2023.

Nous n’avons pas trouvé de traces des décès des chanoinesses Marguerite d’Esne, Alix et Henriette de Dronghelen, et Marie Françoise de Noyelles. Pour les trois premières, les documents originaux ont vraisemblablement été perdus en raison de l’incendie des archives de l’Etat le 10 mai 1940.

[viii] Voir note 5.

[ix] La pierre tombale de la chanoinesse de Gavre se trouve toujours dans la chapelle Sainte-Croix en 2023.